Economie Santé Privé Lucratif

L’âge d’or gris du marché de la dépendance

Un journaliste sur Lemonde.fr publiait en début de mois un article très instructif intitulé « L’âge d’or du marché de la dépendance ».

 Il y évoque en préambule de son article le forum « Paris pour l’emploi » où des gestionnaires privés de maisons de retraite et des sociétés de services à la personne se partagent un stand. Plusieurs milliers d’offres d’emploi y sont proposées par ses entreprises, mais sans que cela ne crée l’affluence du côté des chômeurs comme du côté des chalands.

Parce que, sauf pour les entrepreneurs, le marché de la dépendance avec ces mines d’or gris ne fait pas vraiment rêver les soignants.

Le métier le plus rependu en maison de retraite et dont on peut dire qu’il est à la base du soin sinon du service est celui d’Aide Soignant (AS dans le jargon des EHPAD). Une jeune AS diplômée d’Etat travaillant à plein temps, touche dans un EHPAD privé lucratif, un salaire d’entrée conventionnel de 1549,56€ Brut mensuel (soit 1163€ Net). C’est 100€ de plus que le SMIC pour un métier avec des tâches et des responsabilités nombreuses, un métier reconnu plus pénible qu’en hôpital et avec un taux d’accident de travail et d’invalidité beaucoup plus élevés, sans compter les risques psychosociaux. L’importance des turn-over en témoigne. Pour celles qui ne sont pas diplômés mais qui effectuent le même travail, elles touchent souvent le SMIC.
D’autres métiers tels qu’infirmiers, psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes sont de plus en plus imposés aux exploitants. Mais l’exercice du soin par ces personnels se heurtent souvent en institution à des difficultés, voire des cas de conscience, dés lors que la qualité de prise en charge interfère avec des logiques de rendement, management, chiffres et profits, si bien qu’auprès d’une population pas toujours facile, l’exigence commerciale peut bousculer certains principes éthiques de soignants et de thérapeutes.

Mais comme l’indique l’article cité plus haut, le secteur de la dépendance ainsi que celui de l’aide à domicile sont en plein boom et la « silver économie » est même un des axes majeurs du projet de loi soutenu par Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Car ce secteur ne connait pas la crise et, malgré le coût de la dépendance pour la société, les profits y augmentent sans cesse.

Le premier groupe européen de maisons de retraite, est français, Korian-Medica avec 40 000 salariés sur prés de 600 établissements et qui espère atteindre 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Le deuxième, Orpea (1,9 milliard d’euros de chiffre d’affaires prévu en 2014) est français également.

 Le journaliste s’interroge sur les conditions d’émergence de tels groupes alors que dans leur propre pays, la gestion d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est très largement réservée au secteur public et aux associations:

« Comment ce marché a-t-il pu prospérer, alors qu’aucun gouvernements n’a su apporter de réponse au problème du financement de la dépendance ? »

« C’est le paradoxe français de l’or gris » où « de véritables stratégies industrielles et financières sont à l’œuvre. »

Pour aller plus loin, lire le point de vu économique du journaliste Jean-Baptiste Jacquin sur le marché de la dépendance

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Le groupe Orpea va grossir avec 21 EHPAD supplémentaires

Plus rentable qu’un compte en Suisse, et légal, cet investissement du groupe Orpea résulte du rachat de Senevita, l’un des principaux acteurs helvétiques des maisons de retraite et résidences services pour Seniors et dont la qualité de sa prise en charge a été plusieurs fois récompensée.

ORPEA accède ainsi en Suisse à 13 établissements supplémentaires plus 8 établissements qui doivent ouvrir dans les 3 ans:

  • 13 établissements déjà ouverts de 1 182 lits  et d’un chiffre d’affaires de 83 millions de CHF ;

  • 8 établissements en construction qui doivent ouvrir dans les 3 prochaines années, avec un total de 1 111 lits .

Une acquisition très stratégique pour Orpea dans le cadre de son développement à l’international dans un pays qui a une bonne expertise et un gros potentiel dans la prise en charge de la dépendance (forte demande et forte solvabilité). Le groupe se dote ainsi d’une réserve de croissance avec un chiffre d’affaires qui devrait, pour ces nouvelles acquisitions, friser les 160 millions de CHF en 2016.

Senevita étant une filiale du groupe SeneCura, implanté en Autriche et en République Tchèque, on peut se demander si Orpea ne lorgnerait pas déjà plus loin que ses acquisitions suisses.

Depuis l’annonce de la fusion Korian Medica, le secteur est particulièrement agité : des cessions comme celle de Medipsy par la Générale Santé pour 150 millions d’euros, ou des acquisitions comme Senevita par Orpea ou Nurse Alliance par DomusVi ; des mouvements d’actionnariats ; ou encore ce qui constitue pour nous le point le plus positif à cette sévère concurrence, les quêtes d’innovation avec par exemple l’institut du Bien Viellir Korian.

Les accélérations du secteurs, les enjeux économiques et les ambitions qu’elles poursuivent demeurent malheureusement pour nous dans l’ensemble une épine ou un boulet au pied de l’amélioration des conditions de travail et/ou de séjour. En effet, nul part sur le terrain nous n’avons vu d’effets positifs proportionnels aux 40 à 75% de croissance de valeur enregistrées en un an par les différents titres boursiers des grands groupes. Mais nous avons souvent vu la pression du résultat en amont ou en avale des grands projets.

 

 

 

BTHE, Conditions de travail

Enjeux de la dépendance : Humanité Vs profits et opération boursière

Alors que le Premier ministre a lancé fin novembre les concertations préalables à l’élaboration de ce qui deviendra la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, nous craignons fort que comme souvent les orientations n’aillent pas forcément dans le bons sens.

Aussi plusieurs problématiques que nous connaissons bien méritent d’être souligner :

1 Dépendance et gros business

Actuellement, les leaders sur le marché de la dépendance sont des entreprises côtés en bourse (citons Orpea, Le Noble Age, Korian, Medica, ou la Générale Santé, et DomusVi qui vise la bourse pour 2017).

Quelles conséquences ?

Le principe d’une cotation en bourse c’est qu’il y a des actionnaires dont le but est d’augmenter leurs dividendes et la valeur des actions qu’ils possèdent.
Les dividendes augmentent selon les décisions des assemblées d’actionnaires et la valeur des actions augmentent suivant un principe spéculatif qui tend à anticiper la croissance de l’entreprise.
La croissance de l’entreprise augmente suivant les bénéfices de l’entreprise. Les bénéfices de l’entreprise augmentent suivant l’ensemble des profits moins toutes les charges, les emprunts, et les coûts de fonctionnement.
Là on devient chiant pour tous les lecteurs donc on abrége :

Pour que l’actionnaire s’enrichisse, les entreprises ont besoin d’augmenter leurs profits et achètent pour ça de nouveaux établissements, souvent en empruntant. Pour amortir tout ça le plus vite possible, faute de pouvoir accueillir plus de résidents que les capacités d’accueil le permettent, ça revient souvent à essayer de baisser les coûts de ce qu’ils possèdent déjà et c’est là que ça dysfonctionne.

Car les coûts ce sont en bonne partie les salaires et les équipements, si on pouvait s’en passer ça se saurait. Pourtant il n’est pas rare qu’on rationne des équipements de base comme protection ou autre consommable et qu’on tasse le plus possible les effectifs en maintenant les salaires bas.

Après tout, pourquoi 9 salariés ne pourraient pas faire le travail de 11… Pourquoi rémunérer plus haut que le salaire minimum conventionnel… Pourquoi plus de salariés que le nombre exigés par les tutelles… Pourquoi déclarer chaque accident de travail qui coûterait à l’entreprise… Pourquoi être rigoureux pour s’assurer que chaque dû est bien payé… Pourquoi améliorer les conditions de travail alors que c’est moins cher de ne pas les améliorer… Pourquoi écouter les IRP… Oui pourquoi?

Parce que c’est nécessaire, à défaut d’être plus exigible. Parce que la santé, les aînés, la bientraitance etc. c’est une priorité entreprenariale et nationale. Parce des entreprises aussi lucratives culpabiliseraient si avec tout ce qu’elles engrangent et ce qu’elles coûtent à la société, elles ne reversaient pas davantage en faveur de l’emploi comme réponse à la dépendance. Parce que l’état qui finance notamment la quasi totalité des salaires du personnel soignant doit bien demander quelques contreparties en matière d’emploi, non?

Parce que c’est une évidence. Mais bon…

2 La dépendance en France à l’épreuve de l’absence de morale dans le système

Une personne âgée dépendante demeure une personne avant tout. Elle doit être considérée et traitée avec les mêmes droits et égards que toute autre personne. De plus, la maladie, le handicap et la fragilité qui en résulte impose des besoins et donc une attention et des efforts supplémentaires.
Aujourd’hui nous constatons, pour l’ensemble du secteur une insuffisance de moyens humain ou matériel comparé aux besoins réels, en plus de disparités d’une structure à l’autre. Ce qui est consenti actuellement ressemble au mieux à un minimum légal au pire à de la maximisation commerciale et ou fiscale.
Ainsi, les pratiques en vigueurs sont beaucoup trop conditionnées selon nous par les rapports coûts/profits et pas assez par la nécessité humaine, médicale ou morale.

Il en va de la responsabilité du gouvernement qui se dit concerné.

À titre comparatif, si les services à l’enfance, à la petite enfance ou aux personnes handicapés étaient gérés de la même manière n’y aurait-il pas un émoi sinon un scandale national ?

Imaginons des groupes d’exploitation de crèche côtés en bourse ? Passons à la rigueur pour le petrol, le gaz, les biens divers, la téléphonie, etc. Mais l’humain peut-il faire l’objet d’une spéculation comme on le fait du cours des marchandises ?

Est ce que « la moralisation du capitalisme » peut décemment ignorer cela ?

3 État complice d’un marché qui fait la loi à sa place

Que des entreprises cherchent le profit et le contentement des ses actionnaires, on a l’habitude. Qu’elles puissent être tentée à pousser la logique du chiffre aussi loin avec les conséquences humaines, sociales qui vont avec c’est dans l’essence même du libéralisme contemporain.
Mais que l’état à qui tout cela coûte à la fois un bras et une image soit si complice… Certes ça lui ressemble mais faut il que ce soit une fatalité? Mmes Touraine et Delaunay, entre autres, n’auraient elles pas mieux à faire que de prendre l’avis de Mr Bolloré ou des responsables du Medef dans leur recherche de solution au vieillissement de la population?
L’état serait peut-être tenté de se dire que la relation entre des entreprises et leurs actionnaires ne les concernent pas. Ça fait moins de boulot.

4 Personnel et conditions de travail

En même temps que les personnes âgées, le personnel des EHPAD et les conditions de travail qui y règnent sont les premières victimes de l’absentéisme de l’état en matière d’autorité de contrôle sur les moyens humains consentis.
Alors que tous s’accordent à reconnaitre l’importance des aidants dont le personnel d’Ehpad fait parti, alors que tous reconnaissent l’importance et la difficulté du travail, nous déplorons les maigres volontés de l’état pour obliger les entreprise à mieux aider leurs aidants salariés. Ce secteur qui compte tenu des aides financières publiques (directes ou indirectes) reçues et des profits générés devrait être un modèle en matière d’emploi. Au lieu de ça, nous constatons que les patrons font ce qu’ils veulent, ou à peu près, tant que c’est profitable.

La messe est dite.

En conséquence, et faute de meilleures alternatives, ces entreprises ont un grand besoin de syndicats, de mobilisations extrêmement déterminées, et donc de nous, pour réussir à s’améliorer malgré elles.

Nous espérons être entendu par les acteurs du pouvoir public, sans quoi.nous n’hésiteront pas à taper aussi aux portes de leurs loges.

Aux grands « decisionneurs » (d’un travail/emploi pour qui sonne un peu trop le glas à notre goût), il est souvent utile de (re)sonner les clôches.